Dans un univers faussement naïf prenant racine dans sa passion dès son jeune âge pour la cartographie, le dessinateur Alexis Carlier chamboule les représentations traditionnelles de la capitale avec son affiche intitulée le "Paris féminin". Cette carte recense tous les lieux publics portant un nom de femme et révèle des inégalités majeures.
Rencontre avec l'illustrateur.
" Quand les noms de femmes sont relégués au second plan, ça a un impact énorme sur les ambitions que peut avoir une femme. "
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Alexis Carlier, j’ai 25 ans et je dessine des cartes par passion depuis mon enfance. Après des études de sociologie, j'ai laissé libre cours à mon intérêt pour la cartographie et édite aujourd'hui des cartes de villes françaises, de Berlin, de Tokyo, de Sydney... en partant du tracé des métros et tramways. Mes illustrations sont réalisées à la main, à partir d'un dessin 2D esquissé sur plusieurs semaines au stylo noir Uniball. Les couleurs ont ensuite été ajoutées via Photoshop. L'impression est de qualité sur un papier 250g couché demi mat (satiné).
L’idée est née lorsque je marchais dans la rue avec un ami, dans le 20ème arrondissement, dont je suis habitant. Je me suis aperçu que je n'étais entouré que de noms d’hommes. Je me suis alors lancé dans un long travail de recensement pour amener le sujet différemment en utilisant mes compétences.
Comment avez-vous recensé l’ensemble des espaces portant le nom de femmes ? L’opération a-t-elle été fastidieuse ?
Je suis parti de zéro. J'ai débord répertorié sur Google Maps tous les lieux publics parisiens portant le nom d’une femme (en 09/2021). Puis, j'ai dessiné arrondissement par arrondissement une nouvelle carte originale de Paris.
En résulte un constat assez flagrant : seulement 12 % des noms de rues sont donnés à des femmes, contre 66 % à des hommes. La plupart du temps, il n'y a que des axes secondaires. J'ai estimé la part d'avenues à 1 % et la part des placettes ou des promenades à 50 %, c'est très déséquilibré.
Certaines histoires sont particulièrement inspirantes, même si elles le sont toutes. J'ai notamment en tête la Place Olympe de Gouges. Marie Gouze, dite Olympe de Gouges, née le 7 mai 1748 à Montauban, et morte guillotinée le 3 novembre 1793 à Paris, est une femme de lettres française, devenue femme politique. Elle est considérée comme une des pionnières du féminisme français. Auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle a laissé de nombreux écrits et pamphlets en faveur des droits civils et politiques des femmes et de l'abolition de l'esclavage des noirs. Egalement le Jardin Marielle Franco. Marielle Franco, défenseuse de la cause des femmes noires vivant dans un bidonville, lesbienne, du Parti socialisme et liberté (PSOL), la 5e élue conseillère municipale de la ville de Rio de Janeiro depuis janvier 2017 a été tuée par plusieurs balles en mars 2018. Tous les indices mènent à croire qu'il s'agit d'une exécution de policiers mécontents du travail pour les droits humains menés par Marielle.
De nombreuses démarches vont également dans ce sens. Dans sa résolution, le CESE encourage les collectivités territoriales à mettre en valeur le "matrimoine" à savoir les contributions des femmes à la construction et l'histoire des villes. La prise de conscience de l'enjeu du genre dans l'espace public doit beaucoup à la mobilisation d'acteurs et d'actrices associatives qui ont développé des démarches innovantes : L'association Genre et Ville mène le projet "Ville égalitaire" en partenariat avec la municipalité de Villiers-le-Bel.
L'association Womenability met en lumière les bonnes pratiques inclusives des villes et organise des marches exploratoires. Début mars 2019, à Paris, le Collectif #NousToutes lance une opération d'ampleur en collant près de 1400 fausses plaques portant des noms de femmes sous des plaques de rues parisiennes.
Comment vous est-il venue l’idée de collaborer avec La Maison des femmes ?
Je souhaitais apporter mon aide tout en laissant la parole aux femmes. La Maison des Femmes de Saint-Denis est pionnière dans l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales. Créée en juillet 2016 par la Dr Ghada Hatem, à l'entrée du Centre hospitalier Delafontaine à Saint-Denis, La Maison des Femmes est un lieu de soins unique pour toutes les femmes en difficulté ou victimes de violence. Ouverte directement sur la rue, elle offre un accueil confidentiel et sécurisé. De la demande de contraception en passant par l'IVG, les soins autour d'une excision, d'un viol ou de violences physiques ou psychologiques, dans le cadre familial, conjugal ou autre, les équipes de La Maison des Femmes offrent les soins les plus adaptés et les plus actuels.
Vous reversez un % significatif et porteur de sens à la Maison des femmes : quels ont été les fonds collectés à date grâce à la vente de cette affiche ? Ce projet a-t-il été à la hauteur de vos attentes ?
Le pourcentage reversé est en effet particulièrement symbolique, 16,8 %, c’est l’écart salarial entre les femmes et les hommes. C'est un moyen de montrer le travail mené dans ce lieu refuge, mis en avant comme celui d’associations féministes militant pour la féminisation de l’espace public. Depuis l'édition et la mise en vente de l'affiche Paris féminin, près de 2000€ ont pu être reversés à la Maison des femmes ! La collaboration marche très bien.
" Ce dessin sort un peu de la réalité et permet de retranscrire les changements en cours, puisque Paris est passé de 6 à 12 % de noms de femmes avec la politique d'Anne Hidalgo ces dernières années. "
Oui dès mon retour de voyage, je publie une carte de Paris Nation-Montreuil et une carte secrète, un nouveau projet engagé : Queer-city , une carte sur laquelle je rassemble tous les quartiers emblématiques LGBTQI+ du monde. 15% des ventes seront reversées à l’association ARDHIS qui aide les réfugiés LGBT en France à obtenir le droit d’asile.